Les Beatles dans les Ehpad

Sandrine GAYET

Cet article fait partie du dossier: L’autonomie, une filière qui recrute et innove

Pour la première fois, les générations du Baby-boom vont arriver à partir de 2030 aux âges de la perte d’autonomie. Mais avoir 85 ans en 2030, c’était avoir 20 ans en 1965…Par conséquent, la personne âgée de 2030 entretiendra un rapport différent des générations précédentes à la liberté, à l’autonomie, aux technologies…

La génération des années 60 a fait avancer la société. Elle s’apprête à « révolutionner » les Ehpad (Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou maisons de retraite médicalisées).

Ils avaient 20 ans dans les années 60…

La génération « yéyé » a parfois jeté des pavés un certain mois de mai pour une société nouvelle. Elle a connu les Beatles et les Stones. Manifesté avec Bob Dylan et Joan Baez, roulé des mécaniques en Harley Davidson avec les Blousons noirs, tracé sa route à la Kerouac, plané dans les festivals à la Woodstock.
Ils ont initié la révolution numérique et se sont approprié les outils digitaux. Ils sont connectés et accros à leur smartphone. Ils surfent facilement avec les applis du quotidien et les services en ligne, font leurs courses sur internet…

…Et ils auront plus de 80 ans en 2030

Les résidents des Ehpad en 2030 voudront certainement écouter de la musique de leur jeunesse, donc les résidences auront intérêt à changer la playlist des juke-boxes. Et à engager dès aujourd’hui, l’innovation technologique.

C’est en substance ce que préconise l’étude très éclairante « Grand âge et numérique : objectif 2030 », réalisée par le Think Tank Matières Grises, en collaboration avec le cabinet de conseil Capgemini Invent.
Luc Broussy, directeur du cabinet EHPA Conseil et responsable du Think Tank Matières Grises et Étienne Grass, Executive vice-président de Capgemini Invent, indiquent qu’au-delà de pointer les faiblesses d’un secteur « qui n’a pas encore pris la pleine mesure de la révolution à engager », il faut avant tout créer « une prise de conscience et initier une nouvelle approche ».

Face à ces bouleversements, le Département des Yvelines est déjà très engagé sur le thème de l’autonomie, en finançant notamment par la Conférence des Financeurs, de nombreux projets. Marie-Hélène Aubert, Vice-présidente du Conseil départemental déléguée à l’Autonomie rappelle que

Rien que dans les Yvelines, nous avons une augmentation prévue de 64% de personnes de plus de 80 ans d’ici 2030.

Liberté, autonomie et respect

On assimilait jusqu’ici les animations musicales en Ehpad à Edith Piaf et Maurice Chevalier. « Des choix qui en 2030 apparaîtront rapidement saugrenus à des résidents qui à 20 ans ont été nourris par les Beatles, les Stones ou Johnny Hallyday ! », souligne l’étude.

Selon les experts, la personne âgée de 2030 « subira » moins que la génération de ses parents. « Cette génération de boomers âgés sera par ailleurs beaucoup plus poreuse à l’usage des nouvelles technologies ». Cette génération aura été biberonnée par les valeurs de liberté et d’autonomie. Elle aura lancé le consumérisme. Elle est consciente et jalouse de ses droits. Elle veut, enfin, maîtriser son destin.

Pour Muriel Anfray, professeur de gériatrie à l’université de Bordeaux, les octogénaires de demain seront très différents de ceux d’aujourd’hui :

« Plus instruits, plus concernés par l’entretien de leurs capacités physiques et intellectuelles, plus en lien avec le monde grâce aux outils de communication numérique qu’ils manieront facilement, ils seront aussi plus convaincus de la nécessité de garder des activités valorisantes pour eux, utiles pour la société et excellentes pour leur longévité cognitive ».

Une mutation historique de la société

La période 2025 – 2030 marquera un véritable tournant comme la France n’en a jamais connu. L’augmentation aussi soudaine que brutale du nombre des plus de 80 ans à partir de 2025 puis du nombre des plus de 85 ans à partir de 2030 s’apparente à un défi auquel nos sociétés n’ont jamais eu à faire face jusqu’ici.

Cette vague massive a métaphoriquement donné lieu à toute une série d’expressions aussi dépréciatives qu’anxiogènes : du « tsunami gris » au « papy-krach » en passant par « l’hiver démographique ». Or, comme insiste bien Angélique Giacomini, docteur en sociologie du vieillissement dans une interview pour le magazine départemental :  « il faut transformer les représentations. Le vieillissement ne doit plus être vu comme un poids pour la société mais être considéré comme une chance, tant économique que sociale ».

L’année 2030 sera en effet porteuse d’un symbole fort : pour la première fois dans l’histoire démographique de la France, les « plus de 65 ans » seront plus nombreux que les « moins de 20 ans »!

Quand les « QPV » n’échappent pas au vieillissement

Autre chapitre intéressant de l’étude, celui qui se penche sur le vieillissement des populations des quartiers politique de la ville.

Durant les 20 dernières années, la part des 60-74 ans vivant dans l’un des 1 000 Quartiers de la Politique de la Ville (QPV) où vivent 2 millions de personnes a augmenté de 25%. Et celle des 75 ans  de 50%.
Longtemps la question de la jeunesse de ces quartiers a légitimement mobilisé l’attention et les moyens des politiques publiques occultant le vieillissement rapide d’une partie de leur population.
Ces quartiers, désormais définis par un niveau de revenus faibles, concentrent donc une population pour laquelle la question de l’accessibilité financière sera déterminante et pour laquelle le besoin commun à l’ensemble de la population d’une offre globale d’adaptation, de prise en charge et d’accompagnement sera amplifié par les caractéristiques propres de ces quartiers (accès aux transports, accès aux commerces, accès aux services publics, accès aux soins).
Il est d’ailleurs à noter que ces zones sont aujourd’hui sous-dotées en Ehpad tandis que les résidences autonomie (souvent créées par des CCAS et des bailleurs sociaux) y sont plus nombreuses.