Grenelle des violences conjugales, et maintenant ?

SandrineGAYET

La marche du 23 novembre, à l’appel de #NousToutes a été historique. A deux jours de la fin du Grenelle, l’espoir était grand dans le cortège parisien où 50 000 personnes ont défilé contre les violences faites aux femmes. Le lundi 25 le gouvernement a dévoilé ses mesures. Déceptions. Mais le regard de la société change et le fléau des féminicides n’est plus invisible.

La marche à Paris, le samedi 23 novembre a réuni près de 50 000 personnes. Photo /MC Rigato-Sonally

Dans le cortège parisien, l’ambiance était à la fois grave et survoltée. Les slogans et les pancartes adressaient des messages forts, poignants et même glaçants. « En France, les « féminicides », c’est un Bataclan par an !» ; « D’ici Noël, 10 femmes seront assassinées par leur conjoint ! » ; « Le silence tue ! » ; « Pas une de plus » et puis le long défilé des pancartes noires portant le prénom et l’âge de chaque victime de 2019…et la présence des parents et amis des disparues.
Pour les collectifs féministes et les associations qui accompagnent tous les jours, les victimes de violences conjugales, le gouvernement n’aura pas été à la hauteur des attentes et des espoirs. De la déception donc. Comme nous l’avions écrit le 3 septembre, jour du lancement du Grenelle, les associations craignaient une opération « comm ». Aujourd’hui elles dénoncent « 1 milliard de bobards ».

Dans les Yvelines, des mesures concrètes

Dans les Yvelines s’est tenu le Grenelle 78, autour notamment de Marielle Savina, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité. Quatre mois de concertation et des préconisations avec des mesures très concrètes.

Lors d’un colloque sur les violences conjugales organisé par le réseau VIF qui réunit des professionnels du Département (travailleurs sociaux, médecins de PMI, sages-femmes, psychologues, associations partenaires comme le CIDFF78, La Dire, SOS Victimes 78, services de police et de justice, CAF des Yvelines, préfecture…), Marielle Savina a indiqué que dans le territoire yvelinois, « pas question de faire des listes à la Prévert. On préfère mettre en place des actions pragmatiques« .

Parmi elles : l’expérimentation des prises de plaintes à l’hôpital Mignot avant une généralisation dans les hôpitaux du département; la remise de bons de taxis pour que les victimes se rendent plus facilement au commissariat, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit; la création, avec l’aide du Conseil départemental des Yvelines, de logements d’urgence pour les femmes victimes (seules ou avec enfants)…

Par ailleurs, au commissariat de Guyancourt, a été créée une plateforme de tchat spécialement dédiée aux victimes et témoins de violences sexuelles et sexistes, dotée d’un logiciel qui permet de traduire en direct 73 langues. En un an, elle a reçu plus de 5 000 signalements.

Mais comme le dit si bien Ernestine Ronai, grande féministe qui travaille dans le 93 depuis plusieurs décennies auprès des femmes victimes de violences, on fait du « gagne terrain ». « On vient de loin. De l’invisibilité la plus totale à une prise de conscience collective ». C’est mieux donc. Mais il y a encore beaucoup à faire pour que la société change, pour que la peur disparaisse, pour que le mot « féminicide » qui n’est pas encore entré dans tous les dictionnaires, n’y figure jamais.

137 femmes tuées par leur conjoint ou ex au 26 novembre 2019 © DR / MC.Rigato

C’était historique. Et pourtant, le gouvernement a raté le rendez-vous

Les mesures annoncées le 25 novembre, hormis une poignée d’entre elles, sont très loin de celles mises en place par exemple en Espagne.
Outre-Pyrénées, une femme était tuée tous les 2 jours. En 2004, suite à l’assassinat d’une victime de violences conjugales par son mari, trois jours après avoir témoigné à la télévision, plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues de Madrid et partout dans le pays. Le gouvernement de Zapatero a débloqué 1 milliard d’euros (360 millions pour 2020 en France) et il a mis en place des mesures fortes et immédiates, notamment 106 tribunaux spécialement dédiés aux violences sexuelles et sexistes, des hébergements d’urgence, des bracelets électroniques… Chez nos voisins ibériques, plus de 20 000 ordonnances de protection sont délivrées contre à peine 1 500 en France. Les féminicides ont reculé d’un tiers en Espagne (50 l’année dernière contre plus de 120 chez nous).

En France, en 2018, un tiers des 121 femmes assassinées par leur conjoint ou ex, avaient déposé plainte ou une main courante. La faille est de taille.

Les rouages judiciaires sont grippés quelque part. La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet a fait le mea culpa de la justice, promettant de grands changements. Or, sur le papier, si certaines mesures annoncées sont intéressantes, dans la réalité, elles seront difficilement applicables, de l’avis d’avocats et de juges des affaires familiales interrogés. Sur le « suicide forcé » notamment.

Les mesures du Grenelle

Prise en charge psychologique des agresseurs, la saisie de leurs armes, le renforcement du numéro 3919…, figurent parmi les mesures dévoilées. La généralisation du bracelet électronique anti-rapprochement est déjà en cours d’adoption. Une proposition de loi viendra notamment entériner en janvier 2020 la suspension de l’autorité parentale du conjoint meurtrier et/ou violent. Il était temps !

Moyens

360 millions dédiés en 2020 à la lutte contre les violences faîtes aux femmes, répartis entre différents ministères (220 millions d’euros pour le ministère de l’Intérieur, 90 millions pour le ministère du Logement, 10 millions pour le ministère de la Justice).

Education

  • formation obligatoire pour les enseignants sur l’égalité entre les filles et les garçons, document unique de signalement des violences
  • conseil de la vie collégienne et lycéenne sur l’égalité entre filles et garçons
  • module sur les violences conjugales dans le cadre du Service National Universel.

Protection des victimes

  • La marche à Paris, le samedi 23 novembre a réuni près de 50 000 personnes © DR / MC.Rigato

    Possibilité de joindre le numéro d’appel 3919  durant 7 jours sur 7, 24h/24 : avant le Grenelle, le 3919 recevait 150 appels/jour. Il en reçoit désormais 600/jour… L’appel à projets permettant l’élargissement des plages horaires sera lancé en 2020.

  • 80 postes d’intervenants sociaux dans les commissariats et les brigades de gendarmerie d’ici 2021. Formation initiale et continue dédiée à l’accueil des victimes de violences conjugales par les forces de l’ordre.
  • Interdiction de la médiation pénale et de la médiation familiale devant le juge aux affaires familiales en cas de violence conjugale pour éviter le phénomène d’emprise.
  • Suppression de l’obligation alimentaire pour les enfants vis-à-vis de leur père qui ont assassiné leur mère. Un enfant, même majeur, ne devra plus rien à son
    père si ce dernier a tué sa mère (ou à sa mère si elle a tué son père).
  • Création d’une nouvelle circonstance aggravante pour leurs responsables des “suicides forcés”, inscription dans le code civil de “l’emprise”.
  • Possibilité pour les médecins de déroger au secret médical en cas de “risque sérieux de renouvellement de violences”: ce dispositif est à finaliser en accord avec les médecins. Un outil d’évaluation de la gravité et de la dangerosité des situations de violences conjugales destiné à l’ensemble des professionnels sera conçu, pour mieux repérer les signes d’alerte et savoir vers qui orienter.

Suivi des auteurs

  • Prise en charge des auteurs de violence: appel à projet pour que des centres de prise en charge des hommes violents ouvrent dans chaque région.
  • Injonction pour que les auteurs de violence alcooliques se soignent: l’alcool est présent dans 40% des violences familiales.

Les victimes au travail

  • Les victimes sous ordonnance de protection pourront débloquer leur épargne
    salariale de façon anticipée en cas de violences conjugales.
  • Former/sensibiliser les entreprises pour qu’elles intègrent la problématique des violences conjugales aux plans de santé au travail et aux plans régionaux de santé au travail.