Recueillir la parole d’un enfant victime de violences

SandrineGAYET

L’audition de mineurs victimes d’agression sexuelle, de violence physique ou d’autres formes de mauvais traitement est une tâche complexe. Mireille Cyr* est une spécialiste mondialement reconnue du recueil de la parole des enfants victimes de violences. Elle est intervenue (à distance) au colloque du 14 octobre organisé par les Départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine. Son travail s’appuie sur le protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD). 

 Selon le Centre Hubertine Auclert, en France, environ 143.000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des formes de violences physiques et/ou sexuelles. Près de la moitié de ces mineurs ont moins de 6 ans et dans la plupart de ces foyers, les violences sont répétées. Mais ces chiffres seraient très sous-estimés.

60% de ces enfants présentent des troubles post-traumatiques et quatre enfants sur dix exposés aux violences conjugales sont eux-mêmes victimes de violences physiques.

Il est donc impératif de reconnaître les enfants comme des victimes. Et de recueillir leur parole comme telle.

« La recherche de la vérité dans les cas d’enfants maltraités est une tâche délicate et la ligne de démarcation entre les bonnes et les mauvaises pratiques est très étroite »,

écrit Mireille Cyr dans « Recueillir la parole de l’enfant témoin victime: de la théorie à la pratique » (éditions Dunod, 2014).

« Ne pas contaminer la parole, le souvenir »

Mireille Cyr travaille depuis des années sur l’audition des enfants victimes ou témoins de violences. Pour cela, elle s’appuie sur le protocole NICHD développé aux Etats-Unis dans les années 1990 qui permet d’interviewer des enfants âgés de 4 à 12 ans que l’on soupçonne d’avoir été victimes d’agression sexuelle.

Ce protocole peut aussi être utilisé pour toute rencontre avec un enfant qui a vécu d’autres formes de maltraitance (sévices, témoin de violence conjugale) ou qui a été témoin d’un crime.

Des recherches conduites dans le monde ont démontré que l’utilisation du protocole NICHD augmente la proportion de questions ouvertes chez l’intervieweur et la quantité d’informations de la part des enfants.

Le socle du recueil de la parole des enfants c’est de diminuer autant que possible la suggestivité de l’intervieweur (policier, médecin, travailleur social…) et ne poser que des questions ouvertes, adaptées en fonction des capacités des enfants. C’est aussi d’augmenter la crédibilité du témoignage de l’enfant par la qualité et la quantité des détails donnés relatifs à l’agression sexuelle :

« Il ne faut surtout pas contaminer la parole de l’enfant, ne pas influencer la révélation. Nous devons chercher le souvenir le plus intact tel qu’il est enregistré dans sa mémoire, sachant que dans ce souvenir-là, on va avoir accès à certains détails importants et surtout, exacts», explique Mireille Cyr.

Une audition par des questions ouvertes

Les trois phases du protocole NICHD :

 

  • La phase pré-déclarative est faite pour mettre l’enfant à l’aise, créer un lien de confiance. Evaluer aussi ses capacités de compréhension. Pour les jeunes enfants, il s’agit d’expliquer « ce qui est vrai ou ce qui n’est pas vrai » : « Si je dis que mes souliers sont rouges, est-ce que c’est vrai ou ce n’est pas vrai ? »… Il est important que l’enfant puisse dire à l’enquêteur/intervieweur quand il ne comprend pas, quand il ne sait pas, s’il a besoin qu’il formule différemment ou répète ses questions.

 

  • « Raconte-moi ce qui s’est passé » :

La phase déclarative est introduite par une série de questions ouvertes afin de préciser le plus possible les souvenirs de l’enfant par rapport aux mauvais traitements que l’enfant aurait subis. Dès qu’une révélation est faite par l’enfant, celle-ci est examinée dans son entier à l’aide de questions ouvertes appelées invitations, de quelques questions directives (où, quand, quoi, comment, etc.) et seulement si nécessaire à la toute fin, de questions spécifiques (est-ce que…).

La question « pourquoi ? » risquant d’être perçue comme un jugement du mineur qui ne peut de toute façon pas comprendre pourquoi il a été agressé, doit être bannie.

« Il faut laisser l’enfant s’exprimer spontanément et en lui montrant qu’on croit sa parole« . Il faut également accepter que certains détails soient beaucoup trop durs pour être abordés. Il faut tenir compte des silences également. Le récit du mineur n’est surtout pas interrompu. L’enquêteur l’encourage par des répliques telles que « Est-ce que quelque chose d’autre s’est passé ? » ou « Est-ce que tu peux m’en dire plus ? », mais aussi par une écoute active, par exemple, en répétant des mots de l’enfant.

« Dans cette partie, précise Mireille Cyr, l’intervieweur va demander d’abord à l’enfant de lui raconter un événement récent, heureux, agréable (anniversaire, fête…) et d’en faire un récit libre. Sur ce récit, on lui montre que le moindre détail nous intéresse. C’est une étape importante avant d’arriver à le faire parler de ce qu’il a subi ou vu. Car alors, il comprend ce que l’on attend de lui notamment sa participation à l’échange… ».

 

  • Après avoir vérifié avec qui l’enfant en a parlé, l’étape de clôture permet de vérifier si l’enfant a autre chose à dire et de le remercier pour le travail accompli.

« Les enfants comme les adultes peuvent être influencés lors d’un entretien et même avoir tendance à ajuster leurs propos aux attentes perçues de l’intervieweur. Or toutes les études menées démontrent que le premier facteur responsable de la qualité de l’information obtenue est la qualité de la question posée à l’enfant. »

* Mireille Cyr est docteur en psychologie, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, Directrice du Centre interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles.

Pour plus d’informations et accéder au fiches en français du protocole NICHD